Humoresques

Quand Céard

images/stories/Ouvrages_Bib/sandras zola_300.jpAgnès Sandras, Quand Céard collectionnait Zola, Paris, Classiques Garnier, 424p., 47€.

mot-clé: Emile Zola,Henry Céard

 

File:ZOLA Caricature Gill 1876.jpgConnue et utilisée par les spécialistes depuis la fin du  XIXe siècle, la collection des caricatures de Zola engrangée par son disciple Céard était considérée jusque-là comme quasi exhaustive. Il n’en est rien mais l’étude des trop plein et des lacunes de cette collection est riche d’enseignements : pourquoi Céard a-t-il voulu ainsi collectionner son maître ? pourquoi a-t-il déposé ce « fatras de documents » à Carnavalet, lui

qui n’a pas cherché à conserver d’autres archives ? et pourquoi l’a-t-il précisément fait en plein milieu de l’Affaire Dreyfus ? Henry Céard a été ce qu’on appellerait aujourd’hui un « fan ». Après avoir sonné à la porte du Maître, il devient l’intime du couple Zola, et aide l’écrivain dans ses recherches documentaires. Il commence également à collectionner les caricatures de Zola dans une démarche littéraire car il pressent les mécanismes du charivari orchestré autour du chef de file naturaliste. Mais bientôt le disciple commence à souffrir, stigmatisé dans ses premiers essais comme la « queue du maître de Médan », délaissé par Zola qui découvre d’autres talents à sa disposition.
Céard tente alors d’égratigner Zola dans ses articles. Sans succès car Zola ne désire pas de polémiques officielles. La collection de caricatures reflète les doutes de l’ancien disciple. De plus en plus lacunaire, elle est même épinglée dans la salle d’un journal : l’iconophile devient iconoclaste. Avec l’Affaire Dreyfus, Céard, notoirement antidreyfusard, tente de « sauver » son ancien dieu littéraire, avec une « Lettre à Zola ». L’idole préfère être déchue et ne répond pas … La collection de caricatures, devenue trop insupportable, est donnée à Carnavalet. Et Céard se lance dans la rédaction d’un roman à clés, Terrains à vendre au bord de la mer.
La mort de Zola brise les défenses patiemment construites par Céard. Terrains à vendre au bord de la merest hanté par des doubles littéraires et des images: Pascal (Zola) s’y suicide, et ne reste de lui qu’un portrait d’enfant… Dernier roman de Céard qui rédige encore et toujours des chroniques torturées pour défendre la mémoire littéraire de Zola tout en se dédouanant d’avoir été un disciple trop enthousiaste.

L’ouvrage présente d’abord la condition de disciple du jeune Céard, « cuphage » de Zola, imitateur de Goncourt. On voit ensuite pourquoi Céard constitua une collection de caricatures de Zola, à l’initiative de son Maître, dans le contexte très particulier d’une multiplication des portraits d’auteur et plus particulièrement d’une avalanche de caricatures sur les écrivains naturalistes. La collection est particulièrement fournie en charges publiées à l’occasion de la parution de Nana et de l’Assommoir. L’auteure étudie l’incessante circulation des moqueries entre critiques littéraires et caricatures, et comment Zola lui-même se nourrit de ces échanges.

File:ZOLA Contemporains.jpg Caricature d'Alfred Le Petit 1887

Céard a particulièrement pris à cœur les adaptations théâtrales des romans naturalistes et le rôle de Zola dans ces tentatives. La collection est riche sur ce thème et reflète les doutes naissants du disciple. Les tentatives académiques de Zola (abondamment commentées par la presse) le consternent : la collection commence à se déliter et les critiques affleurent dans les chroniques de Céard.
La brouille est scellée lorsque Zola ignorant les talents musicaux de Céard se tourne vers Alfred Bruneau. Céard s’était particulièrement intéressé aux chansons autour du naturalisme. Sa collection permet de comprendre les liens très particuliers entre les chansons parodiques et la prose zolienne. La recension des caricatures hoquète littéralement lorsque Zola oublie que Céard lui a fait connaître Wagner scandant l’indignation de Céard qui s’ouvre dans la presse des injustices du Maître… sans que personne n’y prête attention ! L’Affaire Dreyfus réactive la curiosité du disciple qui collectionne les charges étrangères valorisant le combat de Zola comme autant d’icônes. Ses chroniques témoignent tout autant de ses incertitudes : Céard aimerait tant être celui qui éloignerait Zola de la politique pour le ramener à la littérature…
Mises à l’écart dans un lieu hautement symbolique, les caricatures sont toujours dans la mémoire de Céard qui ne cesse d’écrire sur Zola. La collection par sa puissance symbolique est devenue également autonome. Céard a ainsi conditionné la lecture des charges de son Maître pendant des décennies.
On trouvera à la fin du volume, une vingtaine de chroniques consacrées par Céard à Zola. On peut ainsi mesurer la force de la fascination exercée par Zola sur Céard, et les différentes stratégies mises en place par ce dernier pour progressivement tenter de se détacher de son idole.

Agnès Sandras est historienne, conservateure à la BnF.

File:ZOLA Caricature Gill 1876.jpg Portrait charge d'André Gill vers 1880