Humoresques

Ridiculosa n°19

images/stories/Ouvrages_Bib/ridiculosa 19_300.jpRidiculosa, "L'Angleterre et la France dans la caricature", Regards croisés sur les représentations des dirigeants politiques dans la caricature française et britannique de la fin du dix-huitième siècle à nos jours, N° 19, 2012, 295p., 15€.

Textes réunis par Jean-Claude Gardes, Gaïd Girard et Pascal Dupuy

mot-clé : caricature, Angleterre

Suivie du sommaire,nous reprenons dans son intégralité l'introduction du numéro par ses trois responsables : "La caricature est à présent une source privilégiée de l’historien des représentations et des mentalités. Le sémiologue, le sémioticien, l’historien d’art avaient, avant lui, déjà souligné la richesse qu’il y avait à l’étudier. Dans cette perspective, comme le faisait déjà remarquer il y a quelques années Jean-François Sirinelli dans un ouvrage relatif à De Gaulle dans la satire anglaise, « la caricature devient, de surcroît, […] une véritable mine lorsque la cible de la satire est un chef d’Etat d’une grande puissance mondiale ». En effet, le discours devient alors international et « dès lors, c’est un véritable jeu de miroirs que le chercheur peut tenter d’interpréter, où s’entrechoquent des préjugés et des souvenirs historiques, des amitiés, mais aussi des contentieux, des affinités mais aussi des incompréhensions, et où se lisent des épisodes principaux qui rythment les relations entre deux Etats »[ Jean-François Sirinelli, « La caricature politique, une mine pour l’historien » in De Gaulle through British eyes / vu par les Anglais, Institut Français du Royaume-Uni/the Centre for the Study of Cartoons and Caricature University of Kent at Canterbury , Londres, 1990, p. 69.]

Lorsque ces deux Etats sont la France et le Royaume-Uni, aux histoires riches d’un passé où la rivalité se mêle à l’entente cordiale et au conflit, c’est une multitude de dessins de presse et de caricatures qui nous est donnée de contempler et d’interpréter. D’autant que la production satirique et la caricature font partie de l’histoire politique des deux pays qui ont connu leur âge d’or dans ce domaine, à quelques quarante années d’intervalle : à la fin du XVIIIe siècle pour la Grande-Bretagne, à partir des années 1830 pour la France. Désormais, dans ce dernier pays, en dépit du musellement important de la presse jusqu’en 1881, la satire des faits et gestes des dirigeants devient le fonds de commerce de maint dessinateur de talent. En Grande-Bretagne, alors que s’éteint le génie de James Gillray (1815) ou Thomas Rowlandson (1827), la caricature s’essouffle et la production du dix-neuvième siècle paraît bien fade en comparaison aux dernières décennies du XVIIIe siècle. L’histoire croisée passionnante des productions satiriques des deux pays n’a pourtant guère retenu l’attention des spécialistes, alors que les relations complexes entre le Royaume-Uni et la France, traversées par un mélange d’attraction et de répulsion, ont fait l’objet de mainte recherche historique. Cette disproportion est d’autant plus surprenante que les relations franco-allemandes, tout aussi mouvementées, ont donné lieu depuis plus de vingt ans à une multitude d’expositions et de travaux de grande ampleur sur la vision qu’en donnent les caricaturistes.

L’objectif du colloque qui s’est tenu en mars 2012 à Brest était donc de proposer quelques mises au point permettant de commencer à combler ces lacunes et d’enrichir l’historiographie des relations franco-britanniques, en resserrant le sujet à l’analyse sur les représentations des dirigeants politiques afin de donner la plus grande cohérence aux recherches. Notre idée de départ était de croiser autant que possible les regards des artistes britanniques et français sur les mêmes personnalités politiques. Cette démarche comparatiste s’est avérée parfois difficile à réaliser, et plusieurs contributions présentées dans ce volume, qui ne traitent que de la vision d’un dessinateur sur les dirigeants d’un des deux pays, ont vocation à être complétées par des recherches qui prendraient en compte la production caricaturale du second pays envisagé. Ce volume présente les actes de ce colloque, dont il reprend la chronologie et la structure. De la fin du dix-huitième siècle à nos jours, les progrès des techniques de reproduction ont largement contribué à l’évolution du genre caricatural. Cette remarque s’applique tout particulièrement au dix-neuvième siècle qui voit la caricature européenne, notamment la production franco-britannique, passer progressivement de l’eau-forte à la gravure sur bois, à la lithographie et à la reproduction photomécanique. C’est à cette thématique qu’est consacré l’article de Julien Schuh « Les caricatures franco-britanniques au XIXe siècle à la lumière des de leurs techniques de reproduction », qui analyse les conséquences de ces choix de reproduction et de diffusion sur les
créations caricaturales dans les deux pays. Cet article est complété par une contribution de David Haigron, « Une crise ? Et quelle crise ? Les leaders politiques en situation de crise dans le dessin de presse britannique », dans laquelle il passe en revue, non pas les techniques utilisées, mais les signes graphiques et langagiers qui doivent être décodés par les lecteurs à l’aide de références culturelles communes. A la suite de ces deux articles introductifs regroupés dans la rubrique «Techniques et procédés de représentations du pouvoir» se succèdent différentes études qui mettent en lumière la représentation de quelques figures historiques du dix-neuvième siècle dans la caricature britannique et/ou française. Todd Larkin s’intéresse dans « Final Impressions : Marie-Antoinettes’s Royal Portraits Refashioned in Revolutionary Caricature » à la question du rapport entre portraits officiels de Louis XIV ou de Marie-Antoinette et leur utilisation dans la caricature par les monarchistes français et les graveurs britanniques, d’obédience tout autant Tory que Whig. Dans cette galerie de portraits, Napoléon tient bien entendu une place de choix. Avec « Napoléon, George III et William Pitt : les hommes d’Etat au pouvoir des caricatures anglaises et françaises (1800-1807) », Pascal Dupuy propose tout d’abord une comparaison entre trois hommes d’Etat qui ont tenu une place essentielle dans les oeuvres satiriques graphiques des deux pays au début du dix-neuvième siècle. Il souligne le féroce combat de propagande que se sont livré les dessinateurs tout en mettant en lumière la volonté de la gravure française de concurrencer son homologue britannique, dont les recettes sont au départ largement copiées, avant de parvenir à une autonomie qui inaugure l’âge d’or de la caricature française. Dans « Les représentations de Napoléon dans la caricature britannique et française en 1814 et 1815 : de l’Empire à la Restauration », Florence Grimaldi poursuit en quelque sorte la réflexion de Pascal Dupuy sur le genre caricatural pratiqué par les Britanniques et les Français qui n’en sont pas encore au même stade d’évolution, insistant sur les différences de liberté d’expression, de contexte politique. Elle conclut son article en affirmant que la figure napoléonienne disparaît progressivement des journaux dès 1815 alors que de nombreux auteurs, notamment romantiques, vont faire perdurer la légende napoléonienne. Pour sa part, Marina Bujoli-Minetti met en regard deux rois dont l’accession au trône a été longue et parsemée d’obstacles dans l’article « Deux amateurs de bonne chère, obèses et goutteux. Satires britanniques sur George IV et Louis XVIII ». Pour M. Bujoli-Minetti, les deux monarques sont représentés en hommes faibles, influençables, préoccupés
par la satisfaction de leurs plaisirs et désirs, et non par le bien de leur peuple, indignes de la fonction qu’ils occupent dans une société où l’institution monarchique se détache de la réalité et de son détenteur pour devenir un idéal sacré. Cette galerie de portraits se termine par une étude portant sur le dernier empereur français Napoléon III : « Slanging The Emperor : Honoré Daumier’s Caricature Of Napoléon III At The 1867 Exposition Universelle ». Russel Stephens analyse quelques caricatures de Daumier parues dans Le Monde Illustré dans lesquelles, pour déjouer la censure impériale, ce dernier présente des dessins apparemment peu satiriques qui dénoncent néanmoins les valeurs impérialistes du système.
Après ces différentes contributions qui mettent en lumière l’évolution du genre ainsi qu’une certaine perte d’autorité morale des souverains, cinq études traitent de la Belle Époque, âge d’or de la presse satirique et humoristique en Europe et période de grandes tensions internationales.
Laurent Bihl («‘V’là les Englishs’ par la rhétorique satirique anglophobe autour de 1900») commente en détail l’anglophobie qui règne en France au début du vingtième siècle ; c’est un thème consensuel auquel la presse satirique française consacre de très nombreux documents, dont le célèbre numéro du Rire composé par Aldophe Willette « V’la les Englishs », qui engendra une violente polémique. Après avoir examiné les ressorts de cette outrance graphique, L. Bihl s’interroge ensuite sur la décélération de la campagne anglophobe dont il est difficile de comprendre la chute brutale. Il conclut par cette remarque d’ordre général qui pose la question cruciale du rôle du dessin de presse : « À travers l’extinction brutale et presque définitive de la satire anglophobe autour du consensus sur l’alliance franco-britannique de 1904, s’esquissent en fait les principales problématiques du rôle des dessinateurs, soi-disant frondeurs professionnels, dans le bourrage de crânes lors de l’Union sacrée de 1914 ». L’article de Bruno de Perthuis (« L’Entente cordiale sous le feu des crayons d’un artiste français : Orens Denizard ») se penche sur le brusque rapprochement franco-britannique tel qu’il est perçu par Orens Denizard, l’un des créateurs les plus connus de séries de cartes postales illustrées, genre en vogue au tournant du siècle. Orens Denizard insiste tout particulièrement sur le rôle de Guillaume II, qui, ulcéré par cette entente et ses échecs diplomatiques, tente de la briser. La contribution de Anne Friederike Delouis prolonge cette réflexion en étudiant « Les relations franco-britanniques à travers le prisme de la caricature politique : la place de l’Allemagne, 1890-1914 ».
Après avoir repéré les différentes personnifications ou représentations allégoriques des deux pays et de leurs dirigeants politiques, A.F. Delouis met l’accent sur le rôle de Guillaume II dans le concert européen et sur la traduction graphique de ses faits et gestes par les dessinateurs britanniques et français, qui finissent par le présenter à partir de 1914 comme un fou, un enragé. Les deux articles de Kevin C. Robbins (« Audacious French Caricature of the British Royal Family in Illustrated, Anarchist Parisian Media, and the Graphic Consequences of the Boer War, 1901-1912 ») et de Richard Tholoniat (« Cecil Rhodes : Napoléon du Cap ou forban de la Chartered ») traitent tous deux de la politique coloniale britannique qui a fait tant couler d’encre au début du vingtième siècle. Kevin C. Robbins analyse tout d’abord les dessins virulents publiés par L’Assiette au beurre contre la monarchie anglaise, tenue en quelque sorte pour responsable des crimes de guerre commis lors de la guerre des Boers, avant de démontrer que ces caricatures ont influé sur les relations diplomatiques. Richard Tholoniat retrace pour sa part le parcours de Cecil Rhodes dans la caricature française. Cet homme politique qui joua un rôle éminent dans la colonisation en Afrique australe est épinglé pour sa cupidité ou sa brutalité, notamment lors de l’affaire du raid Jameson, lors du siège de Kimberley et au moment de sa mort. Dans la mesure toutefois où son action n’a jamais entravé directement les intérêts français, son image s’avère moins négative que celle d’autres dirigeants britanniques, son énergie étant même parfois proposée en exemple. Quatre articles ont été regroupés dans la dernière rubrique « Des accords de Munich à de Gaulle et Margaret Thatcher ». La crise de Munich et sa représentation graphique dans la presse britannique et française sont au cœur de l’étude de Kenneth Wilkes « Le Parapluie et le Taureau : Chamberlain and Daladier in the Political Cartoon during the Munich Crisis ». K. Wilkes montre la différence d’appréciation de cette crise et de son dénouement provisoire en fonction des options politiques (les journaux de droite ou d’audience nationale semblent moins critiques) et des cultures graphiques des deux pays (la caricature française se rapprocherait plus du grotesque). Les trois dernières contributions sont consacrées à deux des plus importantes personnalités européennes de la seconde moitié du vingtième siècle : de Gaulle et Margaret Thatcher. Michel Rapoport (« De Gaulle sous le crayon des caricatures britanniques (1942-1969) ») et Richard Davis (« Great Man or Mad Man ; Hero or Monster ? Charles de Gaulle in British Political Cartoons ») traitent un sujet similaire, mais avec des accentuations quelque peu différentes. Si Michel Rapoport s’attarde essentiellement sur le renouveau de la caricature francophobe, surtout à partir de 1958, lorsque les dessinateurs britanniques prennent à partie le Général, la vie du couple franco-allemand et surtout les refus du président français aux demandes d’adhésion britanniques à la CEE, Richard Davis insiste davantage sur l’évolution des représentations et leur relative ambivalence. Il prouve que les images négatives, qui vont jusqu’à émettre des doutes sur la santé morale du Général, se combinent à l’occasion avec des éléments d’admiration pour le grand homme politique français. Autant Michel Rapoport que Richard Davis soulignent que les caricaturistes britanniques ont largement puisé dans le répertoire des « héros » français, adversaires jadis de l’Angleterre, pour le critiquer. Dans un dernier article, Jean-Claude Gardes propose une analyse de la vision de « La dame de fer dans l’oeuvre de Bernard Ferreira ». Il apparaît que la représentation de la dirigeante britannique qui a tant marqué les années quatre-vingt n’est finalement pas excessivement négative dans les dessins que publie le dessinateur lorrain d’adoption sur la guerre des Malouines et la question de la contribution financière britannique à l’Europe. Comme pour de Gaulle, on peut se demander si ne s’exprime pas chez Bernard Ferreira une pointe d’admiration pour la fermeté de Margaret Thatcher, dont l’intransigeance ne semble pas excessivement soulignée.
Les seize contributions réunies dans ce volume ne doivent être considérées que comme le prélude à des études plus approfondies sur la caricature franco-britannique. En dehors de travaux finalement assez rares sur la caricature britannique comme ceux, anciens d’Augustin Filon, récents de Michel Jouve, Gilbert Millat, Pascal Dupuy ou de Marina Bujoli-Minetti, les études françaises sur les estampes ou les dessins de presse du pays voisin demeurent aujourd’hui encore relativement rares, alors même que l’histoire de la diplomatie ou des mentalités ne peut faire l’impasse de l’étude du genre caricatural, qui a représenté ou influencé de larges parts des opinions publiques pendant de longues décennies. Il nous reste à souhaiter pour finir que la lecture de l’un ou l’autre des articles suscitera l’intérêt des chercheurs et que les lecteurs prendront autant de plaisir à feuilleter cet ouvrage que nous avons eu à le préparer." (Pascal Dupuy, Jean-Claude Gardes & Gaïd Girard)

 

Sommaire

Techniques et procédés de représentation du pouvoir

Julien SCHUH
Les caricatures franco-britanniques au XIXe siècle à la lumière de leurs techniques de reproduction

David HAIGRON
Une crise ? Et quelle crise ! Les leaders politiques en situation de crise dans le dessin de presse britannique

Quelques figures historiques dans la caricature

Todd LARKIN
Final impressions : Louis XVI and Marie-Antoinette's Portraits Refashioned in Revolutionary Caricature, ca. 1789-1793

Pascal DUPUY
Napoléon Bonaparte, George III et William Pitt : les hommes d'État au pouvoir dans les caricatures anglaises et françaises (1800-1807)

Florence GRIMALDI
Les représentations de Napoléon dans la caricature britannique et française en 1814 et en 1815 de l'Empire à la Restauration

Marina BUJOLI-MINETTI
Deux amateurs de bonne chère, obèses et goutteux. Satires britanniques sur Georges IV et Louis XVIII

Russel STEPHENS
Slanging the Emperor : Honoré Daumier's Caricature of Napoléon III at the 1867 Exposition Universelle

Les relations difficiles entre la Grande-Bretagne et la France à la Belle Époque

Laurent BIHL
« V'là les Englishs » par la rhétorique satirique anglophobe autour de 1900

Bruno de PERTHUIS
L'Entente cordiale sous les crayons d'un caricaturiste français : Orens Denizard

Anne Friederike DELOUIS
Les relations franco-britanniques à travers le prisme de la caricature politique : la place de l'Allemagne, 1890-1914

Kevin C. ROBBINS
The Artful Origins of an Anglo-French Diplomatic Incident : Audacious French Caricatures of the British Royal Family, Illustrated Parisian Media, and the Graphic Consequences of the Boer War, 1901-1912

Richard THOLONIAT
Cecil Rhodes : Napoléon du Cap ou forban de la Chartered ?

Des accords de Munich à De Gaulle et Margaret Thatcher

Kenneth WILKES
Le Parapluie et le Taureau : Chamberlain and Daladier in the Political Cartoon during the Munich Crisis

Michel RAPOPORT
De Gaulle vu par la caricature d'Outre-Manche

Richard DAVIS
Great Man or Mad Man; Hero or Monster? Charles de Gaulle in British Political Cartoons

Jean-Claude GARDES
La dame de fer dans l'oeuvre de Bernard Ferreira


Résumé des articles en français, anglais, allemand