Humoresques

Humour et identités dans l'espace public : nouveaux sentiers

images/Couverture Humour et identit dans lespaceMokhtar FARHAT (textes réunis et présentés par), Humour et identités dans l'espace public : nouveaux sentiers, Université de Gafsa, ISEAH Gafsa, 2015, 171p., 25,000 dt. (ISBN 978 9938 14 352 2).

 mot-clé : identité, espace pubic, dessin de presse

 

PRESENTATION de Mokhtar FARHAT

 Ce volume rassemble en grande partie les contributions des participants au IIIe Séminaire International « Humour et mise en cause de la doxa en temps de conflits ou de crises », qui a eu lieu à Madrid du 27 au 28 mars 2014, organisé par María Dolores Vivero García (département de philologie française de l’Université Autónoma de Madrid et par Gisèle Valency (Université de Caen, CRISCO). L’objectif principal des organisateurs était de chercher des pistes théoriques pour comprendre et expliquer l’humour, mais aussi de fournir des analyses de textes et de discours récents qui mettent en lumière les représentations des identités sociales dans les discours humoristiques. Cette thématique est d’actualité dans la mesure où la question qui se pose est celle de l’instauration ou non de limites à l’humour, notamment, dans les différents médias. Existe-t-il des sujets tabous ? La liberté de l’expression se trouve-t-elle menacée ? Peut-elle être remise en question ? Que peut-on tirer comme leçons des événements tragiques de Charlie Hebdo ? Est-il légitime de censurer un média parce qu’il choque une partie de l’opinion publique ? A-t-on le droit d’interdire la représentation d’un spectacle humoristique pour des raisons d’ordre public? Quand peut-on parler juridiquement de diffamation, de propos racistes, d’antisémitisme ? Peut-on remettre en question le politiquement correct ? Le débat reste ouvert autour de toutes ces questions. Une pléiade d’auteurs a contribué à l’élaboration de cet ouvrage pour tenter de réfléchir sur ces problématiques en apportant quelques éléments de réponses et, surtout, en ouvrant un dialogue entre les études sémiotiques, pragmatiques, rhétoriques, littéraires et d’analyses de discours à travers l’analyse de supports variés.  Patrick Charaudeau nous invite à réfléchir sur quelques cas de figure où l’humour peut faire l’objet d’un procès en diffamation. Il centre son analyse sur l’examen des critères juridiques sur lesquels s’appuie la jurisprudence pour conclure à la diffamation ou non. En effet, il met en valeur la nécessité d'analyser l'humour dans son cadre communicatif et de distinguer ce qui est de l'ordre des procédés humoristiques et ce qui est de l'ordre des effets humoristiques. Mokhtar Farhat adopte plutôt une approche anthropologique pour tenter de monter que l’humour peut être l’expression des « spécificités culturelles » de toute une communauté. De ce point de vue, en travaillant sur le spectacle La vie rêvée de Fatna de Rachida Khalil, il s’interroge sur « l’humour au féminin » et sur « l’humour identitaire ». Il fait l’analyse des principaux procédés par lesquels la comédienne fait la caricature de trois clichés de portraits de femmes :
d’abord la femme arabo-musulmane maghrébine soumise, mais qui se révolte par le biais du rêve libérateur à l’occidentale ; ensuite, la jeune « beurette » qui a perdu ses repères identitaires communautaires pour s’assimiler à sa compatriote française en se référant plutôt aux valeurs de la République française et, par conséquent, à l’idéal occidental ; enfin, la femme francofrançaise populaire, spontanée et des fois vulgaires avec tous les clichés qui s’ensuivent. Anne-Marie Houdebine s’interroge sur l’image de ce que l’on appelle « élite » dans le dessin de presse. À travers un corpus sélectionné essentiellement des dessins de presse d'El Roto, elle propose l’interprétation des différents mécanismes qui font le « prestige » de « l’élite » dans ces dessins. Son objectif principal est d’analyser les représentations sociales des élites de pouvoir (politiques, économiques et médiatiques) véhiculées par les dessins humoristiques publiés ces dernières années dans la presse française et espagnole en mettant en évidence le rôle des effets d’incohérence insolite et paradoxale dans la caricature hyperbolique des défauts critiqués.
Pour Anna Jaubert, « avoir le sens de l’humour » est plutôt bien apprécié dans nos cultures. Mais, la problématique peut changer quand la thématique est liée à un contexte social en temps de crise où la parole humoristique peut être perçue par certains comme une menace pour nos valeurs. Partant de quelques exemples empruntés à la littérature, à un journal satirique et au répertoire de Georges Brassens, elle propose l’analyse des réceptions de l’humour, paradoxalement contradictoires, tantôt amusantes, tantôt choquantes selon que
l’on est acteur ou victime de cet acte humoristique. De son côté, Catherine Kerbrat-Orecchioni pose la problématique subtile de la distinction entre l’humour et l’ironie. En partant d'attestations d'emploi des termes "ironie" et "ironiser" prélevées dans divers échantillons de discours "ordinaires", elle centre sa réflexion sur la définition du seul cas de l’ironie. Son investigation a comme objectif, d’une part, de voir s'il est possible de dégager une/des valeur(s) commune(s) à tous ces emplois et, d’autre part, de réfléchir essentiellement sur
la cible de l’ironie, considérée comme la composante essentielle sur laquelle repose la valeur idéologique et le pouvoir critique de l’ironie.
Lassaad Mabrouki relate un fait divers qui a eu lieu en Amérique en 1925. Il s’agit d’un instituteur d'école publique, John Thomas Scopes, qui se trouve poursuivi en justice pour avoir enseigné les théories de l'évolutionnisme de Darwin, en infraction de la Butler Act, loi de l'État du Tennessee, imposant aux écoles publiques l'enseignement de la création et de l'origine divine de l'homme. Tous les ingrédients sont réunis pour que les humoristes exercent leur art mettant en dérision une société duale en crise qui voit s'opposer deux systèmes de pensées. La
réduction de ce débat complexe à deux images d'Épinal : d'un côté Dieu sur son nuage donnant vie à Adam, de l'autre un singe préhistorique marchant pesamment vers son futur d'homme. Il est demandé aux Américains de choisir leur camp. Le parti d'en rire est alors une voie de sortie naturelle que beaucoup adopteront.
Dans une approche sémio-linguistique, André Petitjean nous convie à une réflexion sur le style comique de Koltès en associant le type de sujet à son mode d’expression. En prenant comme support les écrits dramatiques de cet auteur, il procède à une clarification de certains concepts ayant trait aux catégories que recouvre l’appellation de « registre comique » et montre que la catégorie du comique demeure des plus indéterminées et des plus extensibles dans les fictions théâtrales. Dans un second temps, en tenant compte de la double dialogie
au théâtre, il s'agit d'analyser certaines formes de comique (en particulier les effets d'ironie et d'humour) selon qu'elles sont interprétables au niveau des échanges entre les personnages ou à celui du rapport entre l'auteur et son destinataire (lecteur ou public). A ce second niveau, la comicité provient essentiellement d'un jeu d'allusions sous la forme de pastiches ou de parodies trivialisantes. 
Enfin, María Dolores Vivero García mène une réflexion sur l’autodérision de l’image féminine chez les chroniqueuses françaises et espagnoles. Elle part du constat que l’humour peut modeler les représentations sociales et, notamment, les idées reçues sur les femmes. En s’interrogeant sur l’impact du « rire des femmes », elle se demande s’il subvertit ou, au contraire, renforce les stéréotypes du féminin. Pour répondre à ces questions, elle choisit un corpus journalistique écrit par des femmes, ce qui lui permettra d’observer la façon dont ces chroniqueuses pratiquent l’autodérision et l’image qu’elles donnent d’elles-mêmes.

Table des matières
CHARAUDEAU Patrick (Université de Paris XIII, CNRSLCP),
« L'humour au risque de la diffamation. Quand la jurisprudence révèle les composantes de l'humour »
FARHAT Mokhtar (Université de Gafsa), « L’humour francophone identitaire : portraits de femmes maghrébines à
travers une étude du one-woman-show : ― La vie rêvée de Fatna ‖ de Rachida Khalil "
HOUDEBINE Anne-Marie (Université Paris-Descartes, Sorbonne), « Les élites (politiques) dans le dessin de presse »
JAUBERT Anna (Bases, Corpus, Langage, UMR 7320, désacralisation à travers les genres. Les enjeux d’un éthos
discursif libertaire »
KERBRAT-ORECCHIONI Catherine (ICAR, Université Lumière Lyon 2), « Entre Babel et Humpty Dumpty : peut-on
―définir‖ l’ironie? »
MABROUKI Lassaad (Université de Gafsa), « Le défi darwinien à la doxa fondamentaliste protestante américaine :
climax, paroxysmes et caricatures : le procès John Scopes »
PETITJEAN André (Université de Lorraine, CREM), « Ironie et humour dans les textes dramatiques de B.-M.
Koltès »
VIVERO GARCÍA María Dolores (Universidad Autónoma de Madrid), « Par humour de soi. Autodérision et image de la
femme chez les chroniqueuses françaises et espagnoles »

Accueil Bibliographie Humour et identités dans l'espace public : nouveaux sentiers