Humoresques

Appel à communication : Les tontons flingueurs

Appel à communications : Colloque interdisciplinaire Les Tontons Flingueurs

Université Paris Sorbonne, 12 et 13 septembre 2018

Le but de ce colloque est d’élucider le mystère d’une production, marginale au départ, qui a échappé à l’oubli et est entrée dans la mémoire collective française, dans le cadre d’une approche transdisciplinaire et comparatiste.

 Comité scientifique :

Bernard Franco, Université Paris Sorbonne
Olivier Frayssé, Université Paris Sorbonne
Bruno Péquignot, Université de la Sorbonne Nouvelle
Catherine Rudent, Université Paris Sorbonne

Comité d’organisation :

Olivier Frayssé, Université Paris Sorbonne, Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.
Thomas Pillard, Université de la Sorbonne Nouvelle
Olivier Coquard, Lycée Henri IV

Les Tontons Flingueurs est un petit film en noir et blanc sorti en France le 27 novembre 1963, réalisé par Georges Lautner, sur un scénario d'Albert Simonin et des dialogues de Michel Audiard, avec comme acteurs principaux Lino Ventura, Bernard Blier, Jean Lefebvre, Francis Blanche, Claude Rich et Sabine Sinjen. Tourné avec de petits moyens par Gaumont dans le cadre d’une coproduction franco-germano-italienne, éreinté par la critique, il réalise 3,3 millions d’entrées à la surprise générale, bénéficiant sans doute du succès préalable en juin de Mélodie en Sous-sol, d’Henri Verneuil, avec Jean Gabin et Alain Delon, toujours avec Simonin et Audiard (3,5 millions d’entrées) juste derrière la Palme d’Or de Cannes, Le Guépard de Visconti (3,6 millions), éclipsant par exemple Pouic-Pouic (2,3 millions) de Jean Girault, avec Mireille Darc et Louis de Funès, L’ainé des Ferchaux, de Melville avec Belmondo (1,5 millions) ou Le Mépris, de Godard, avec Brigitte Bardot (1,2 millions).

On est loin certes des 6,4 millions d’entrées du grand succès français de l’année, La Cuisine au Beurre, de Gilles Grangier avec Fernandel et Bourvil, ou des block-busters de Hollywood, La Grande Evasion, (8,7 millions), de John Sturges, Lawrence d'Arabie (5,7 millions), James Bond 007 contre Docteur No de Terence Young (4,7 millions) et Les 55 jours de Pékin de Nicholas Ray (4,5 millions). On est surtout loin de la Guerre des Boutons, de Yves Robert, qui l’année précédente, avec près de 10 millions d’entrées, avait pris place sur le podium derrière Le Jour le Plus Long de Zanuck et al., et devant West Side Story de Robert Wise et Jerome Robbins.

Le scénario, fondé sur un roman noir, est transfiguré par un traitement comique de la violence et l’injection d’une comédie d’amour romantique. La musique originale l’est notamment en ceci qu’elle décline le même thème dans à peu près tous les genres musicaux disponibles à l’époque, de la musique liturgique au tamouré en passant par le classique et le jazz. Ce film intensément parodique fourmille d’évocations de faits culturels et de société, dont certains très actuels … en 1963 : la télé, l’auto, le poids de la deuxième guerre mondiale et de la guerre d’Indochine, les intellectuels à la mode, le référendum gaulliste, la politique sociale, le FMI, la France qui fout le camp, l’invasion américaine du whisky qui détrône le pastis, le fossé des générations, la valeur travail et l’amour du travail artisanal bien fait qui se perd, etc. Destiné à un public populaire, il n’hésite pas à parler d’Arcangelo Corelli, Reynaldo Hahn et Puvis de Chavannes, voire à faire citer en allemand un auteur chinois. Reprenant les codes de l’exotisme colonialiste, du machisme ordinaire et de l’homophobie, il les détourne astucieusement par de bienveillantes paroles d’autorité de personnages qui ont celle de défier l’autorité légale au nom d’une moralité « blanc-bleu », et qui, des cercles de jeu au FMI, contestent la domination légale rationnelle d’une bureaucratie managériale ridiculisée. Tout est au second degré, même la nostalgie qui donne son âme au film.

Cet objet cinématographique non identifié poursuit sa carrière à la télévision, avec des dizaines de passages, et, quand il sort en DVD en 2002, 250 000 acheteurs se pressent. Il est donc ce qu’il est convenu d’appeler un film culte.

Cinquante-trois ans plus tard, les Tontons Flingueurs sont toujours vivants, certes par l’image, et la musique, mais surtout par les dialogues de Michel Audiard. Qui se souvient encore de « Si j’aurais su, j’aurais pas venu », la réplique la plus célèbre de la Guerre des Boutons, à part quelques vieux de la vieille ? Et si la sentence de Tancrède dans Le Guépard, « pour que tout reste comme avant, il faut que tout change » est bien connue dans le petit monde intellectuel de gauche, on ne risque guère d’en reconnaître l’origine dans un bar populaire. Mais évoquez-y la belle adaptation de la 60ème thèse de la Somme de Thomas d’Aquin, « Les cons, ça ose tout, c'est même à ça qu'on les reconnaît », il sera rendu à Michel ce qu’il a emprunté à Thomas, « avec 10% d’amende, pour le retard ». Malgré deux septennats de François Mitterrand, il n’y a pas d’équivoque sur le sème « les tontons », l’épithète « flingueurs » coule de source.

Le plus curieux, c’est qu’il n’y a pas que de la pomme dans ce film vitriol datant des « grandes heures ». Il y en a aussi, certes, des bonnes vieilles pommes, universitaires ou non, qui, confrontés à la vision d’une jeunesse en larmes sur l’escalier, s’aperçoivent, en entrant dans une phase moins euphorique de leur soûlographie, qu’ils étaient en train de parler de leur jeunesse. Mais il y a autre chose : des générations successives, qui savent par cœur ces répliques comme ils savent celles du Père Noël est une Ordure (1982), et un certain nombre de celles de Scarface (1983), Les Visiteurs (1993), voire Brice de Nice (2005), il y en a aussi. Qu’un téléphone sonne avec la musique des Tontons dans un supermarché, toutes sortes de visages s’éclairent d’un sourire (toutes sortes ?, cela reste à vérifier scientifiquement, mais l’aspect transgénérationnel et interclasse est manifeste).

Les spécialistes du cinéma rendront compte de cette réussite exceptionnelle, en termes notamment d’écriture filmique et d’économie des médias, répondant à la question plus générale : qu’est-ce qui fait d’un film un « film culte », que faut-il entendre par là, et peut-on parler de la même façon de « série culte » ?
Les littéraires nous expliqueront la continuité de la réception de la langue d’Audiard et de Simonin, combinaison de langue savante et de langue verte, laquelle était largement ignorée du public à la sortie et morte depuis dans le milieu où elle se pratiquait, à faire la part du style et de son impact, à mettre en rapport image et langue.
Les musicologues replaceront la musique de Michel Magne dans l’histoire de la musique et de la musique de cinéma, analyseront la prosodie des dialogues.
L’analyse de discours servira, au-delà des littéraires, aux philosophes, aux spécialistes de communication, aux politistes, aux sociologues, aux historiens.
Sociologues et historiens, psychologues, après avoir établi un état de la culture et de la société en 1963, nous expliqueront comment les archétypes tontoniens ont continué à fonctionner dans des sociétés si différentes de celle de 1963.
Les sociologues des œuvres nous raconteront notre histoire au prisme des Tontons.
Les spécialistes d’autres cultures nous diront s’ils ont pu observer des phénomènes similaires ailleurs, et aborderont la réception de ces cultures dans la France de 1963 à la lumière des Tontons.

Toutes les communications seront bienvenues dans ce cadre.

Les propositions, de cinq cent mots maximum, accompagnées d’un CV, doivent être envoyées à Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser. avant le 1er décembre 2017.

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