Humoresques

Les Shadoks

images/2018_catalogue Shadoks_300.jpgLes Shadoks. Une odyssée en couleurs, catalogue d'exposition au musée Tomi Ungerer, Strasbourg, éditions des Musées de la ville de Strasbourg, 2018, 25€.

mot clé : Shadoks, Jacques Rouxel, dessin animé, Claude Pieplu.

Créé il y a 50 ans, ce dessin animé présenté à la télévision suscita les réactions les plus extrêmes entre "Shadokophiles" et "shadokophobes". Thérèse Willer, commissaire de l'exposition associée à ce catalogue, retrace dans le détail le déroulement d'une odyssée (c'est le moins pour caractériser les aventures de cette production comme de ses personnages).

A cheval sur les influences américaines, le nonsense anglais et les manifestations Dada de l'Europe, l'oeuvre de Rouxel a contribué à la diffusion d'un état d'esprit humoristique totalement inédit.

"Les Shadoks, un creuset d’inspirations" par Thérèse Willer (p10 à 18  du catalogue)

 Les Shadoks, ces drôles de bestioles, sont en quelque sorte une espèce inconnue d’échassiers.

 

Ils se caractérisent par un corps sphérique, de longues pattes réduites à des lignes, un oeil rond

 

avec un point, un bec triangulaire, des dents acérées, trois poils sur la tête et des ailes rognées.

 

Ces formes synthétiques et géométriques, dont les enfants usent volontiers pour dessiner les

 

oiseaux, ont été choisies par leur auteur Jacques Rouxel dans l’objectif, entre autres, de créer

 

des images percutantes. 

 

images/Shadoks_301_300.jpg Mais au-delà de leur apparente simplicité, les Shadoks sont l’aboutissement de recherches

 

graphiques et littéraires, le résultat d’inspirations croisées.

 

Pour répondre aux besoins de l’animographe, un prototype de machine à dessins animés,

 

Rouxel développe un graphisme minimaliste. Tous les personnages et les décors sont conçus à

 

partir de formes simples. Cette contrainte ne fait cependant pas obstacle à l’expressivité des

 

figures. Bien au contraire, elles s’animent dès leur apparition sur la feuille de papier, alors

 

même qu’elles ne sont encore que des images fixes. L’idée d’un feuilleton se concrétise vite : le

 

premier épisode est lancé sur la première chaîne télévisée française le 29 avril 1968. D’une

 

durée très courte (entre deux et trois minutes) et diffusés immédiatement après le Journal

 

télévisé chaque soir, les Shadoks et leurs ennemis, les Gibis, vont perdurer sur le petit écran

 

jusqu’en 2000, avec quelques pauses toutefois. Les premiers épisodes divisent les

 

téléspectateurs. Certains d’entre eux sont choqués par la nouveauté de ce dessin animé

 

résolument anticonventionnel et nonsense.

 

Le ton novateur des Shadoks est insufflé en premier lieu par le contexte du dessin animé

 

américain contemporain. Rouxel se situe dans la lignée du style graphique du studio américain

 

UPA (United Production of America) créé par le scénariste et producteur Stephen Bosustow. Le

 

« I-Style », nommé ainsi du fait de ses formes anguleuses, puisait indifféremment ses sources

 

dans l’art contemporain, le dessin de Saul Steinberg et de Ben Shahn, ou encore le mouvement

 

du Bauhaus.

 

De la même façon, le créateur des Shadoks s’inspire de l’univers de l’illustration. Les noms

 

d’André François, de Tomi Ungerer, de Saul Steinberg figurent parmi ces influences. Saul

 

Steinberg, dessinateur américain d’origine roumaine, était devenu le maître incontesté

 

du cartoon en inventant le oneline drawing, le dessin au contour tracé d’un jet : il réduisait le

 

trait au maximum pour exprimer une idée. Rouxel a pu découvrir ses cartoons parus dans The

 

New Yorker soit pendant les quatre années de sa jeunesse passées à New York, soit en 1950, à

 

son retour en France où Steinberg était devenu une référence dans le monde de l’illustration.

 

La réussite des Shadoks relève d’une alchimie parfaite entre le dessin et le texte. Amateur de

 

culture anglaise, Jacques Rouxel apprécie tout particulièrement l’humour britannique dont l’une

 

des composantes essentielles est le nonsense. À ce propos, il cite Edward Lear mais se réfère

 

également à Lewis Caroll, Jonathan Swift et à l’Américain James Thurber. Il est généralement

 

admis que l’auteur des Shadoks et de leurs ennemis les Gibis use d’un humour plus anglo-saxon

 

que « gaulois ». Certains auteurs français ont cependant inspiré Rouxel : Alphonse Allais et Alfred

 

Jarry, dont le goût pour l’absurde l’attire, Raymond Queneau, Boris Vian et Eugène Ionesco.

 

L’auteur des Shadoks ne s’est pas privé de puiser son inspiration dans deux cultures, l’une

 

américaine et l’autre française, et de les associer pour en tirer une formule très originale, qui

 

n’appartient qu’à lui.