Humoresques

Borislav Sajtinac

 entre au musée Ungerer


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"Déjà présent dans plusieurs collections publiques en France, en Allemagne,
en Suisse ou dans sa Serbie natale, le dessinateur Borislav Sajtinac fait son entrée au musée
Ungerer de Strasbourg. 

 "Le Fou - Me for President "
©Musées de Strasbourg Campagne électorale (1993). 

Un fonds de 26 dessins témoigne de l’humour corrosif d’un grand dessinateur. Il circule dans les salles du musée Ungerer avec un plaisir
évident. « Tomi compte parmi les trois dessinateurs qui m’ont le plus marqué. Entrer 
dans les collections de son musée prend pour moi une satisfaction toute particulière », glisse-t-il dans un français impeccable, modulé par un petit accent venu des Balkans.
Admiratif de son oeuvre, Borislav Sajtinac l’est aussi de son odyssée américaine. « Il est parti
en Amérique avec 60 dollars en poche et a conquis New York. Moi, au même âge et plus
modestement, j’avais quitté la Yougoslavie pour l’Italie avec également une poignée de dollars,
mais j’ai dû rebrousser chemin, tellement c’était dur… », dit-il, sur le mode de l’autodérision.

Il n’en retentera pas moins sa chance peu après, optant cette fois-ci pour Paris, en 1963, à
20 ans, opérant un court passage par les beaux-arts de Paris. Il s’en ira néanmoins finir ses études
d’art à Belgrade avant de retourner à Paris en 1965.
« C’était assez difficile aussi, mais j’ai eu la chance de pouvoir placer des dessins auprès de
Hara-Kiri, l’ancêtre de Charlie Hebdo, avec Cavanna, le professeur Choron, Reiser… », égrène-
t-il. « C’était une belle expérience, mais comme une fois sur deux le numéro était interdit,
cela ne suffisait pas pour vivre», poursuit-il, évoquant un temps précédant Mai-68, « où
on sentait bien, à Paris comme à Belgrade, mais aussi en Allemagne, que cela allait exploser ».
Une Europe qui tient de la Nef des fous
Exploser ? Cela lui va bien. La carrière qu’il a construite depuis dans la presse en France (Le
Monde, Le Nouvel Observateur, L’Événement du Jeudi, Le Point) ou en Allemagne (Die
Zeit, Stern, Frankfurter Allgemeine Zeitung), tout comme ses publications ou ses films d’animation,
ont pour ressort un sens certain de la contestation et de l’affrontement. « Pour faire bouger
les choses, il faut que cela se heurte », dit-il, frappant ses poings fermés l’un contre l’autre.
L’environnement, l’écologie, l’immigration, les nationalismes et les populismes
sont des thèmes dont il s’empare régulièrement. On les retrouve dans les 26 dessins qui entrent
dans la collection du musée Ungerer. S’il a acquis la nationalité française en 1989,
Borislav Sajtinac n’en est pas moins un enfant de l’ex-Yougoslavie qui a vu son pays imploser
et livré à la guerre sous la poussée des nationalismes. Ce qui ne l’empêche pas de porter un regard
assez dubitatif sur l’Union européenne. « On a l’impression qu’elle ne se construit que
sur des échecs, sur des traités qu’on rajoute aux traités », observe-t-il. Son dernier film d’animation,
qu’il a présenté à Strasbourg il y a quelques jours, est justement consacré à cette Europe
qu’il a tant croquée au fil des décennies et qu’il transpose dans une croisière imaginaire.
Cela lui vaut un titre qui emprunte à Sébastien Brant et en dit long sur son optimisme d’Européen 
La Nef des fous.

Entre un travail en noir etblanc, au trait hachuré, rappelant Roland Topor ou la gravure
du XIXe siècle, et des dessins aux couleurs audacieuses et au graphisme plus linéaire, Borislav
Sajtinac brouille formellement les pistes. Sur le fond demeure une relation très forte à
l’absurde. « J’ai une longue expérience du dessin de presse en Allemagne et en France. L’humour
dans ces deux pays n’est pas le même. L’Allemagne est plus anglo-saxonne, portée sur
un certain “nonsense”, alors qu’en France, on peut être plus direct, plus brutal », résume-t-il.
Profondément européen, mais aussi très sceptique et amusé sur le cours politique d’une telle
construction : en entrant dans le musée de Tomi Ungerer, Borislav Sajtinac est en parfaite adéquation
avec son hôte."
Serge HARTMANN extrait de Les Dernières Nouvelles d'Alsace -6 octobre 2019.