Humoresques

L'humour face aux épidémies 2

images/charivari 30 mars 1851 grippe gallica bnf image 3.jpgAgnès SANDRAS, L’HUMOUR FACE AUX ÉPIDÉMIES – PARTIE II. 

RIRE AU MOMENT OÙ SE CONJUGUENT LA GRANDE GUERRE ET LA GRIPPE DITE ESPAGNOLE-1918.

La pandémie de grippe de 1918 et 1919 aurait fait entre 28 et 50 millions de morts dans le monde, dont 240 000 en France1. Pour autant, il y eut au début de cette pandémie des chansons et des caricatures. Inconscience ? Mauvais goût ? Peut-être, mais plus sûrement tentatives de résistance et résilience face à l’indicible.

Voyons comment la presse satirique, et plus largement la presse, a essayé de sourire ou de rire de la grippe pour mettre la peur à distance, dans une période particulièrement difficile puisque la pandémie a coïncidé avec la fin de la Première Guerre mondiale. Au traumatisme des combats s’est donc superposé celui d’une pandémie, ennemi moins visible et identifiable, mais dont les dégâts s’opèrent de toutes parts, y compris à l’arrière.

Je propose donc ici, comme dans le billet précédent, une évocation des thèmes les plus saillants – du moins ceux que la censure a acceptés en 1918 … 2 – et/ou ayant une résonance particulière aujourd’hui. Face à l’ampleur de la pandémie de la “Grande Grippe3”, le rire a rapidement décru, comme le montrera un prochain billet.

“On ne veut pas en avoir peur (…) on affecte d’en rire”

Nous avons vu dans le billet précédent qu’une partie de la population parisienne, avertie de la progression du choléra, avait décidé de se divertir et avait même tourné en dérision la maladie en 1832. La grippe de 1918 a été accueillie avec ce même mélange d’incrédulité et de bravade. Dès l’été, des blagues et des dessins jouent sur les deux peurs, le conflit en cours, l’épidémie à venir. Dans Le Rire, dès août, deux soldats dialoguent devant un moteur de camion en panne : “Ça y est, il est grippé. Pourvu que ce ne soit pas la grippe espagnole4.”

Nous verrons dans le prochain billet que même au plus fort de l’épidémie, en 1919, un journaliste peut encore dire : “Nous répétons que la grippe est un fléau, nous sommes inquiets pour les nôtres et pour nous-mêmes, mais nous rougirions de prendre les précautions cependant les plus raisonnables, les plus justifiées. Nous avons peur d’avoir l’air d’avoir peur”. Le 9 novembre 1918, le journal Le Rire propose une analyse très pertinente des différents types de peur qui peuvent assaillir la population et des raisons de l’apparente décontraction devant la contagion :

  1. Grippe aura beau se promener dans Paris, elle n’y rencontrera pas cette panique plus dangereuse que le fléau lui- même. Non, la grippe — qui tue cependant beaucoup plus de monde que les obus et les torpilles — ne fait trembler personne : on en parle allègrement, on la chansonne, on la met en caricatures, on ne veut pas en avoir peur. Et si elle nous entraîne dans une danse assez macabre, on affecte d’en rire, peut-être parce que cette danse est espagnole.

Naguère, tout le monde quittait rapidement la salle et courait se mettre à l’abri quand, au théâtre, le régisseur s’avançait devant le trou du souffleur pour dire ceci :
— On signale des gothas à cinquante kilomètres de Paris !

Mais personne ne bougerait si le même régisseur disait aujourd’hui :

— Il y a dans la salle 250 milliards de bacilles de Pfeiffer.

C’est peut-être la mort pour 50 spectateurs. Sauve qui peut !

Le danger qui ne fait pas de bruit effraie infiniment moins que le danger à grand orchestre5.

L’idée qui domine est de montrer par un rire ostentatoire que le pays ne craint rien, que son moral est bon malgré la guerre. Cette volonté est renforcée par le souhait qu’en revanche la grippe fasse des malades dans les pays combattus, en particulier l’Allemagne, pour diminuer le nombre de soldats en état de combattre :

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Agnès Sandras

chargée de collections en histoire de France au département Philosophie, histoire, sciences de l'homme

 

 

 

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