Humoresques

L'ambivalente réception de la case de l'Oncle Tom-3

images/Journal pour rire 12 fv 1853 suite vignette 1.jpgL’AMBIVALENTE RÉCEPTION DE LA CASE DE L’ONCLE TOM EN FRANCE : PLEURER OU PERSIFLER ? (PARTIE III. LA QUESTION DE L’IMAGE.)

 Agnès Sandras

On sait toute l’Oncle-Tomanie qui s’est emparée de l’Angleterre et de la France ; le roman de Mme STOWE, écrit dans sa cuisine entre l’enfant auquel elle donnait à téter et le rôt qui se dorait au feu, s’est trouvé un chef-d’œuvre : on l’a dépecé par quartier, on l’a mis à toutes les sauces ; on en a fait des drames, des vaudevilles, des romances, des tableaux ; le bœuf gras s’est appelé l’Oncle Tom. Enfin : Aimez-vous l’Oncle Tom ? On en a mis partout1.

 

Cette critique aujourd’hui surprenante de La Case de l’Oncle Tom reflète parfaitement la situation en 1853. Nous avons vu dans les deux billets précédents que le roman de l’Américaine Harriett Beecher Stowe connaît immédiatement en France plusieurs traductions, conquiert les rez-de-chaussées des journaux nationaux et provinciaux, et est adapté sous des formes différentes au théâtre. La presse satirique est agacée non pas tant par le contenu de l’œuvre que par la démesure de son succès.

La « réception de la réception » (voir billet 1) est toujours précieuse pour appréhender les phénomènes de mode ou de rejet, et affiner les informations livrées par la presse généraliste. Avec ses textes parodiques, ses fausses nouvelles (voir billet 2), ses caricatures, la presse satirique expose au grand jour les contradictions de l’opinion, et sous prétexte de rire ou d’ironiser révèle les non-dits. Rappelons que La Case de l’Oncle Tom constitue alors un brûlot à destination des adultes – et non pas des enfants – car il s’attaque à l’esclavagisme aux États-Unis. Longtemps considéré comme l’ouvrage qui aurait déclenché la guerre de Sécession et abouti à la suppression de l’esclavage américain2La Case de l’Oncle Tom est dénoncé parfois aujourd’hui comme une fabrique de stéréotypes sur les Noirs. Le personnage de l’Oncle Tom est particulièrement décrié : on lui reproche sa résignation et sa propension à excuser ses “maîtres3”. Or ces stéréotypes ont été repérés dès les origines par la presse satirique française. Les a-t-elle dénoncés ou les a-t-elle au contraire cultivés ? Nous allons voir que pour tenter de répondre à cette question, il est plus que jamais indispensable – mais compliqué – de nous replonger dans les années 1850, pour ne pas juger à l’aune des stéréotypes actuels, sans pour autant sous-estimer ceux du XIXe siècle …

 

Une réception satirique spécifiquement française autour de l’esclavage et des droits de l’homme ?

 

Pour analyser la fortune parodique et caricaturale de La Case de l’Oncle Tom en France, il faut mesurer la place qu’occupe la presse satirique française en 1852-1853 et connaître ses thématiques favorites. Trois feuilles résistent alors aux foudres de la censure : Le Charivari, Le Tintamarre et Le Journal pour rire, qui évitent les sujets par trop politiques, sauf de manière allusive, et cultivent le plus possible la tradition charivarique. Romans et pièces de théâtre sont une cible privilégiée des parodies et des textes humoristiques, et leurs thématiques comme les auteurs sont l’objet de caricatures. Textes et images se répondent avec deux niveaux de réception : au rire immédiat ou à la surprise provoqués par la déformation visuelle et la simple blague, se superposent souvent des clés de lecture plus allusives et plus érudites

Le Tintamarre, qui n’est que rarement illustré de simples vignettes mais contient de nombreux textes parodiques, réagit tôt et abondamment à la publication de La Case de l’Oncle Tom. Le roman est intégré aux feuilletons humoristiques en cours et le titre cultive les blagues faciles autour de la case et la couleur de Tom.

Lire la suite sur le site de la BNF :  https://histoirebnf.hypotheses.org/9885

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