Posy Simmonds à Blois

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Posy Simmonds à Blois

Exposition 38e BD BOUM
19 nov. 2021-mars 2022
Maison de la BD

  L’Art de Posy Simmonds, l’humour romanesque

Maison de la bd, grande salle et salle Gotlib
Commissariat Paul Gravett et Patrick Gaumer,
en partenariat avec le Cartoonmuseum Basel (Bâle, Suisse)

L’exposition présente des dessins originaux de ses romans graphiques (Gemma Bovery, Tamara Drewe, Cassandra Darke), ses livres pour enfants (Fred, Lavender, Baker Cat…), des illustrations (Seven Ages of Woman…), des dessins pour la presse (The Guardian) et des travaux préparatoires de l’artiste.

 

Dossier de presse :
Une enfance bucolique
Rosemary Elizabeth – dite « Posy » (en français : petit bouquet) – Simmonds est née le 9 août 1945 à Cookham, une petite ville du Berkshire qui s’étend le long de la Tamise, à l’ouest de Londres, dans le sud-est de l’Angleterre. Dans la vaste demeure victorienne jouxtant la ferme familiale, ses parents y élèvent leurs cinq enfants. Tout juste âgé de trois ans, la fillette s’empare de deux reliures de Punch, le célèbre hebdomadaire satirique. Un acte fondateur ? Peut-être. Passée la sidération, elle en recopie inlassablement les dessins, s’inventant ses propres histoires. L’immense bibliothèque familiale recèle bien d’autres trésors, illustrés par Giles ou Ronald Searle.
Au gré de l’enfance, Posy Simmonds dévore les nombreux titres de la presse jeunesse britannique : les Beano, Dandy, Topper, Eagle, Girl et autres School Friends… Partageurs, les enfants d’officiers de l’US Air Force d’une base voisine lui confient différents comics et suppléments dominicaux américains, lui permettant de découvrir Superman, Blondie, Little Nancy ou Spider-Man. Pour un anniversaire, son père lui offre une rame de 500 feuilles d’un papier épais au vieux format impérial Double Éléphant (678 x 1016 mm)… Un somptueux présent qu’elle s’empresse de noircir d’innombrables croquis et compositions variées.


Les années d’apprentissage
Pensionnaire à la Queen Anne’s School de Caversham, l’adolescente opte pour une filière artistique et ressort de la vénérable institution, en 1962, son bac en poche. À tout juste dix-sept ans, ses parents l’envoient étudier le français à la Sorbonne, à Paris : « La vie était devenue si intéressante sur le plan culturel et social que je me détournai quelque peu de mes cours ». De retour en Angleterre, elle intègre en 1964 la Central School of Arts and Crafts de Londres.
Ses premiers pas professionnels s’apparentent à une course d’obstacles. Tout en complétant son maigre ordinaire par divers petits boulots (comme dogsitter d’une vieille dame épouvantable qui lui inspirera peut-être plus tard quelques cases marquantes dans Cassandra Darke), elle illustre un premier article dans le Times, fin 1968, travaille en free-lance pour le Reader’s Digest, Woman’s Own ou l’édition britannique de Cosmopolitan, et entame une série régulière de cartoons pour le très populaire Sun, fraîchement racheté par Rupert Murdoch.


Vous avez songé à la bande dessinée ?
À partir de 1972, on la retrouve au sommaire du Guardian, un quotidien beaucoup plus en accord avec ses opinions et ses vues féministes. Cinq ans plus tard, tandis qu’elle emprunte un ascenseur, un des rédacteurs en chef lui lance entre deux étages : « Vous n’avez jamais songé à un strip ? ». La jeune femme n’a pas le temps de répliquer que l’ascenseur se referme. On compte sur elle. Elle crée la bande dessinée The Silent Three, mettant en scène trois anciennes collégiennes, aujourd’hui adultes, restées amies malgré le temps qui passe. Au fil des mois, la série se resserre autour de la famille Weber et tacle malicieusement les « intellectuels de gauche », coeur du lectorat du journal, un peu à l’image des Frustrés que publie à l’époque Claire Bretécher dans Le Nouvel Observateur. En 1981, paraît True Love, satire des B.D. sentimentales en vogue dans les illustrés britanniques pour midinettes.

Littérature jeunesse
Posy Simmonds se lance en 1987 dans la littérature jeunesse, avec Fred, l’histoire d’un chat ordinaire se muant chaque nuit en rock-star, traduit en France chez Sarbacane : « Parfois, s’agissant des images simples, je les dessinais au crayon léger, puis les coloriais – à l’encre, souvent agrémentée de marqueur, de crayon de couleur ou de gouache – avant de renforcer le trait à la mine noire très fine. Les Berol Karisma étaient les rois des crayons de couleur, produisant une texture riche et crémeuse ; ils se taillaient magnifiquement, dans une vaste gamme de tons. Je chéris les moignons qui me restent. »
Trois autres de ces ouvrages pour les plus petits (Lulu et les bébés volants, Mariage au chocolat et Le Buffle en colère) ont été publiés en français chez Hatier et Albin Michel Jeunesse. Ils sont aujourd’hui épuisés. Un éditeur serait bien avisé de les reprendre. S’y ajoutent d’autres histoires comme Matilda, Who told such Dreadful Lies (Matilda qui racontait de si affreux mensonges), Lavender (Un attachant lapin) et Baker Cat (Le Chat du boulanger).


Gemma Bovery
En avril 1999, pour le Guardian, l’artiste entame en feuilleton Gemma Bovery, un graphic novel très librement inspiré de Madame Bovary de Flaubert, présenté quotidiennement, en noir et blanc, dans un format particulier (trois colonnes de large et la hauteur du journal). Raymond Joubert, écrivain frustré reconverti avec un certain talent dans la boulangerie, joue le narrateur et partage avec le lecteur le journal intime de Gemma, son exaltation et son ennui, sa lingerie fine et ses rendez-vous galants, son usage immodéré de la bouillote et de la Carte bleue. L’occasion pour Posy Simmonds d’explorer toutes les complicités entre le texte et les dessins : roman illustré, histoire en images, bande dessinée avec dialogues dans les bulles, coupures de presse et représentation d’objets « réels », etc., parfois au sein d’une seule et même page. L’expression « roman graphique » prend ici tout son sens. Son trait se fait plus sensuel, rehaussé de grisés au crayon et au feutre, de lavis à l’aquarelle.
Anne Fontaine signe l’adaptation cinématographique de cette comédie dramatique, en 2014, interprétée notamment par Gemma Aterton et Fabrice Luchini.

Gemma Bovery
Paru en feuilleton quotidien dans The Guardian, en 1999
Édition originale : Jonathan Cape, Londres, 1999
Édition française : Denoël, 2000
Traduit de l’anglais par Lili Sztajn et Jean-Luc Fromental
« Familles recomposées, je vous hais. » Excédée par l’intrusion incessante de ses beaux-enfants et de l’ex de son mari, Charlie, Gemma Bovery décide de s’installer avec celui-ci loin de Londres, dans une fermette du bocage normand. Là, elle découvre avec émerveillement les charmes de la campagne française. Mais le French Way of Life a ses limites. L’ennui guette. Gemma prend un amant sous l’oeil jaloux de Joubert, le boulanger, qui se fait le chroniqueur de sa déchéance amoureuse.
Le décor, le destin, le nom de l’héroïne vous rappellent quelqu’un… C’est à dessein. Posy Simmonds donne à l’Emma Bovary de Flaubert, une arrière-petite fille en jean, baskets et lingerie fine. Personne ne sort indemne de cette satire, ni ces Anglais middle class assoiffés de grands crus et d’exotisme continental, ni cette petite bourgeoisie françaises aux manies insupportables.
Du désir de grandeur et de ses désillusions. De l’influence des régimes amaigrissants sur la fidélité conjugale. Splendeur et ridicules du désordre amoureux. Le grand Gustave y retrouverait ses petits.

 

Scènes de la vie littéraire
Entre 2002 et 2004, dans le cadre du supplément Livres du samedi du Guardian, Posy signe Literary Life, une fine et féroce observation du monde de l’édition : « J’en suis très proche et je connais ses terribles vanités. On me laissait la liberté de choisir mes personnages et la forme que je donnerais à mes pages, bande dessinée ou dessin d’humour. » La Royal Society of Literature, l’équivalent de notre Académie française, l’accueille en son sein en 2004.
Tamara Drewe
En 2005, elle enchaîne avec Tamara Drewe, un récit mêlant mélancolie douce et causticité. Brillante et séduisante, de retour dans la demeure qui l’a vue grandir, la jeune et belle Tamara sème la zizanie dans un petit village de la campagne anglaise, en particulier à Stonefield, une paisible communauté d’écrivains plus ou moins ratés et revanchards. L’histoire se teinte de références littéraires discrètes au poème Élégie écrite dans un cimetière de campagne de Thomas Gray et au roman Loin de la foule déchaînée (Far From the Madding Crowd) de Thomas Hardy. Posy Simmonds transpose très librement la trame de cet ouvrage de 1874 dans l’Angleterre contemporaine : « L’intrigue de Hardy est intéressante, son côté moraliste aussi. J’ai relu le livre et j’ai emprunté ses personnages principaux en les arrangeant à ma manière – Bathsheba Everdene, la jeune femme libérée du roman, cède ainsi la place à son avatar moderne Tamara –, mais l’histoire est de moi. »
Quant à sa méthode de travail, après avoir accumulé des centaines de notes et croquis préparatoires, Posy l’explique simplement : « Quand j’ai la trame de l’histoire, je fais mon casting, je dessine tous les personnages, je décide des lieux de l’action mais aussi de la marque de leur voiture, de la taille de leurs chaussures ou de la couleur de leur brosse à dents. À la fin, ils sont tellement vrais que j’entends leur voix dans ma tête. »
Le format du Guardian ayant changé, les pages de Tamara Drewe vont être publiées à raison de deux épisodes par semaine dans une forme plus classique, en couleurs. Cela n’empêchera pas l’autrice de jouer à nouveau avec sa mise en page, alternant les blocs de texte, les cases de bande dessinée, les SMS, des reproductions de tabloïds ou de petites annonces, décrivant alors le quotidien de ses protagonistes : « Je n’y suis pour rien. C’est Hardy qui, comme Flaubert, était très moderne pour son époque en s’intéressant aux gens ordinaires. » Stephen Frears l’adapte au cinéma en 2010, avec Gemma Aterton dans le rôle-titre.

Tamara Drewe
Paru en feuilleton hebdomadaire dans The Guardian, à partir de 2005
Une version révisée est éditée au Royaume-Uni par Jonathan Cape/Random House, en 2007
Édition française : Denoël Graphic, 2008
Traduit de l’anglais par Lili Sztajn
L’ouvrage sera couronné en France par le Grand Prix de la critique de l’ACBD (Association des Critiques et journalistes de Bande Dessinée).
Avec son nez refait, ses jambes interminables, ses airs de princesse sexy, son job dans la presse de caniveau, ses aspirations à la célébrité et sa facilité à briser les coeurs, Tamara Drewe est l’Amazone urbaine du XXIe siècle. Son retour à la campagne, dans le village où a vécu sa mère, est un choc pour la petite communauté qui y prospère en paix.
Hommes et femmes, bobos et ruraux, auteur à gros tirage, universitaire frustré, rock star au rancart, fils du pays, teenagers locales gavées de people, tous et toutes sont attirés par Tamara, dont la beauté pyromane, les liaisons dangereuses et les divagations amoureuses éveillent d’obscures passions et provoquent un enchaînement de circonstances aboutissant à une tragédie à la Posy Simmonds, c’est à dire à la fois poignante et absurde.
Librement inspiré du roman de Thomsas Hardy, Loin de la foule déchaînée, un portrait à charge délicieusement cruel et ironique de l’Angleterre d’aujourd’hui.

Cassandra Darke
Posy Simmonds continue d’épingler les comportements futiles et erratiques de ses contemporains dans Cassandra Darke, parue directement en album en 2018 : « Je vis à Londres. J’aime m’y promener à pied, et particulièrement à l’époque de Noël, quand les rues et les vitrines sont décorées. J’y constate un fossé entre riches et pauvres de plus en plus visible. D’un côté des quartiers huppés, quasi déserts, où l’immobilier est avant tout un investissement pour des propriétaires souvent russes, chinois, saoudiens… De l’autre, des sans-abri toujours plus nombreux. Un décalage qui rappelle beaucoup les inégalités sociales de l’ère victorienne dénoncées par Dickens. »
Acariâtre, misanthrope, d’une radinerie légendaire, la galeriste Cassandra Darke prend des allures d’Ebenezer Scrooge, le personnage central d’A Christmas Carol (Cantique de Noël), le premier et le plus célèbre des contes de Charles Dickens – Carl Barks, l’un des plus célèbres collaborateurs de Walt Disney s’en inspira pour sa part lors de la création d’Uncle Scrooge McDuck, plus connu en français sous le nom d’Oncle Picsou. « Cassandra est aussi odieuse que son modèle. Une femme hors-norme avec son manteau informe et son éternelle chapka, elle se moque des clichés de la féminité. Elle ne s’intéresse ni à la famille ni aux enfants, n’éprouve aucune empathie, aucun désir d’être aimable. Elle se plaît dans sa solitude et se fout du reste. Mais contrairement à Scrooge, elle profite en sybarite de sa fortune. » Posy Simmonds ne peut cependant pas s’empêcher d’éprouver pour elle une vraie tendresse et le glissement progressif du conte moral au roman policier offrira à son personnage l’occasion d’une rédemption, sauvant ainsi, dans un geste d’une surprenante abnégation, la jeune Nicki. L’autrice le reconnaît : « Les histoires vous emportent parfois malgré vous ! »


En 2020, le Grand Boum-Ville de Blois est attribué à Posy Simmonds. L’année suivante, en partenariat avec le Cartoonmuseum de Bâle (Basel), en Suisse, l’autrice se voit consacrer une exposition présentée à la Maison de la bd de Blois. Inaugurée en novembre 2021 à l’occasion de la 38e édition de bd BOUM, cette rétrospective se prolonge jusqu’en mars 2022.
Patrick Gaumer

Cassandra Darke
Publié au Royaume-Uni par Jonathan Cape, en 2018
Édition française : Denoël Graphic, 2019
Traduit de l’anglais par Lili Sztajn
Cassandra Darke, Londonienne pur jus, vieille teigne misanthrope, mauvaise coucheuse en surcharge pondérale, n’est pas sans rappeler le célèbre Scrooge de Dickens. Elle ne pense qu’à elle-même et aux moyens de préserver le confort dont elle jouit dans sa maison de Chelsea à 8 millions de livres. La galerie d’art moderne de son défunt mari a été le théâtre de fraudes qui l’ont mise en délicatesse avec la justice et au ban de son milieu. Mais Cassandra s’accorde le pardon, au prétexte « qu’à côté de tous ces meurtriers récidivistes, on se sentirait presque comme Blanche-Neige. » Ses fautes n’impliquent « ni violence, ni arme, ni cadavre ». Hélas, dans son sous-sol, une ex-locataire, la jeune et naïve Nicki, a laissé une surprise qui pourrait bien s’accompagner de violence et d’au moins un cadavre…
Affinant encore sa virtuosité unique, entre roman et bande dessinée, Posy Simmonds poursuit la fresque de l’Angleterre moderne entreprise dans ses livres précédents et donne sa vision au scalpel du Londres brutal et fascinant d’aujourd’hui, « entre paillettes et galères ». Son coeur, comme toujours, penche pour les chiens perdus, mais le portrait qu’elle trace de Cassandra, cette femme trop riche à l’hiver de sa vie, est vibrant d’empathie. Pur plaisir. Pur Posy.